Roland Ferrandi - Musicien et Directeur d'ensembles
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Troubadour, joueur de cistre, luthiste, ceteriste et guitariste... qui vous plonge dans l'univers du médiéval, du moyen âge à la Renaissance. Magnifique exemple de feux croisés entre Art et Culture.
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Découvrez les origines du solfège, les musiques anciennes et leurs fabuleux instruments. L'évènementiel s'appuie sur l'historique : la musique, le chant, les costumes. C'est un véritable travail de recherche, une maîtrise artistique pour notre plaisir !
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Bonjour, Roland Ferrandi, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
J'ai 43 ans et suis d'origine corse, un corse de la diaspora... J'ai débuté mes études de guitare classique à l'âge d'environ douze ans et je fus élève de Maître Louis Davalle puis d'Antonio Pereira Arias. J'ai eu une carrière de guitariste en France et à l'étranger : Italie, Suisse, Espagne… Puis, j’ai découvert la musique ancienne à travers la musique de luth, la guitare baroque et le théorbe ; instruments que j'ai travaillés avec Vasunori Immamura, Gorge Fresno, puis Rolf Lisveland et enfin le cistre, avec la Cetera qui est le cistre corse. Actuellement, j'habite Marseille.
Vous étiez déjà un guitariste international. Quelles furent les circonstances qui vous ont amenées à pratiquer le Luth ?
J'ai été attiré, très tôt, au cours de mes études musicales par la musique de luth, du théorbe et de la guitare baroque, bien sûr. Je jouais de nombreuses transcriptions pour la guitare classique, mais cela ne me satisfaisait qu'a moitié... Malgré les excellentes transcriptions de musique ancienne que l'on trouve actuellement sur le marché ouvert au grand public. Je me décidais à "explorer", certains manuscrits, car n'oublions pas que les publications sur la musique ancienne de luth sont récentes, donc à l'époque peu aisées à trouver "j'explorais" donc et je jouais le répertoire en... désaccordant la guitare. La rencontre avec José Ribo sur Martigues (eh oui ! toujours dans le sud !) fut décisive pour la suite de mon travail. En effet, il me construisit mon premier luth renaissance, et m'aiguilla sur la lecture et le travail du luth. Et voilà comment je suis tombé dedans !
Dans quels ensembles de musique médiévale jouez-vous ?
Je suis musicien et directeur musical de l'ensemble vocal et instrumental "Arc'Anacrouse", membre fondateur de l'ensemble "la Régale", puis d'un groupe de musique corse, polyphonique et instrumental fraîchement né : "Arc ' Anacrouse"!
Parlez de votre groupe médieval Arc' Anacrouse ?
Le groupe se compose de quinze chanteurs et chanteuses, en quatre pupitres de chant. Le registre musical s'étend du 13ème siècle au 16ème siècle, en passant par les compositeurs comme Guillaume de Machaut, Adam de la Halle, Alphonse X le Sage... pour la période médiévale, Claudin de Sermissy, Josquin, Pierre Certon... pour la renaissance.
Les pièces sont accompagnées avec des instruments d'époque tels, le Luth, le cistre, la guitare "battente", le théorbe, le tout avec percussions ( tambourins ,bendirs,...), et bien sûr en habit de troubadours (pour les hommes) et de trobairitz (pour les dames) ; eh oui c'est compliqué à dire, mais... Nos lieux préférés sont : les chateaux, les églises, les salles de concert, et tous les lieux historiques (ou non) où la vieille pierre nous racconte son histoire. Nous sommes, selon les besoins, suivis par des moyens modernes de sonorisation.
Vous êtes joueur de cistre, luthiste, ceteriste et guitariste. Quelle est fut l'évolution historique de ses différents instruments ?
Le cistre et le luth sont des instruments très anciens. Il existe de nombreux instruments que l'on appelait "luths" car ils avaient une simple caisse de résonance et des cordes tendues. Nous pouvons dire que ces instruments seront "classifiés et normalisés", à partir de la fin du moyen âge, avec au début de la renaissance, l'arrivée et la démocratisation de l'imprimerie. C’est un débat assez complexe et soumis à de nombreuses discussions, car en fait, avant la renaissance, c'était essentiellement la tradition"orale", qui menait le bal. Le plus important est d'utiliser la spécificité de chaque instrument. Le cistre avec un accord spécifique se prête particulièrement, à mon goût, à la musique médiévale, et à toute la musique des troubadours français, gallico-portuguais, et généralement "européens" à partir du 12° siècle, tout
comme le luth médiéval, très proche du cistre. Le luth est apparenté souvent à l'oud oriental, ce qui à mon avis, est très discutable.
Le luth Renaissance est particulièrement employé et bénéficie d'une littérature remarquable et très riche. Son essor à partir du début du 16° siècle sera extraordinaire. Nous avons hérité de merveilles absolues, des premiers "ricercars" de Capirola, en passant par les grands polyphonistes, et les compositeurs ô combien géniaux comme le luthiste Jean-Paul Palladin ou John Dowland... L'évolution du luth conduira au luth baroque, instrument souvent plus imposant avec beaucoup plus de cordes, et surtout régi par d'autres règles harmoniques... Les guitaristes connaissent bien le "lautenmusik" de Bach ou bien les oeuvres de Weiss.
La guitare baroque a un trajet un peu différent, car il s’agit d'un autre instrument, d'une autre famille, bien que l'on puisse employer la même technique. On la dit "baroque" mais elle existait bien avant la période baroque, en Italie par exemple sous forme de "guitariglia Battente", qui entraînant les danseurs dans de très longues et certainement très animées tarentelles endiablées. La guitare baroque aura de grandes lettres de noblesse on l'appellera "guitare royale" et même les rois auront leur "maître de guitare" attitré.
Où trouvez-vous vos instruments ?
Je les fais construire sur mesure, en France et à l'étranger. Stephen Murphy a créé ma guitare baroque, pour la cetera c'est Ugo Casalongua à Pigna en Corse et Christian Magdeleine à Bastia, pour la guitare baroque c'est Steven Murphy à Vaison la Romaine, et pour le théorbe c'est Maurice Ottiger en Suisse, pour le luth c'est Steven Barber à Londres.
Quelles sont vos sources pour mettre en musique de vieilles partitions ? Le solfège n'existait pas sous la forme actuelle. Expliquez-nous.
Les grandes différences entre les tablatures de l'époque et les partitions actuelles ? Très bonne question, et je vais tenter d'y répondre en quelques lignes.
Il existe, maintenant, de nombreux éditeurs de partitions de luth de tablature et de ses "dérivés" : Spess, Le CNRS, Minkoff, Faber Music… Il faut d'abord, à mon avis, déterminer de quelle époque on parle car le moyen âge n'observe pas les mêmes principes que la Renaissance... On joue beaucoup, à cette époque sur le système "modal", et beaucoup sur l'improvisation, il n'y a guère que la musique religieuse qui soit réellement normalisée. Mais sans vouloir vous contrarier (et ceci est bien normal car très spécifique) la musique écrite sur nos systèmes, existait déjà depuis longtemps, et ce d'une manière extrêmement élaborée à partir de la fin du moyen âge, c’est-à-dire vers 1450. On peut même dire que les systèmes des polyphonistes de la renaissance comme Clément Jannequin étaient très complexes. On n'en parlait tout simplement moins ! Certes, il y avait quelques differences de figures de sons, de mesures, les notes etaient souvent
en forme de losange, mais le systeme etait le même ! Il apparaît alors que la tablature est un choix d'écriture, pour les raisons suivantes :
. Peu de gens savaient lire, à l'époque, et n'oublions pas que l'Europe était hérissée d'îlots de seigneurs, de régions autonomes très souvent en guerre ou l'on se comprenait pas ou peu. L'instruction était rare, et pour lire la musique, il fallait un minimum d’éducation. La tablature apparaît comme un repère "photographique" plus aisé.
. La seconde raison est plus technique : la tablature permet d'adapter instantanément la tonalité, soit que le luthiste veuille accompagner le chant d'un enfant, d'une soprano ou d'une voix basse. Il s’agit tout simplement d'accorder le luth et de tendre plus ou moins les cordes. Les cordes de Munich ou de Padoue étaient rares, très chères et très fragiles... Il ne fallait pas les rompre ! Sachez qu'Adrien le Roy, Albert de Rippe, Francesco da Milano étaient de grands maîtres qui avaient déjà maîtrisé le système de l'écriture et du solfège.
Exemple de tablature française :
Exemple de tablature italienne :
Sur votre site, vous dîtes "Quant au Théorbe, bien qu'il dispose d'un très beau répertoire soliste, on peut le considérer comme un instrument de 'Continuo'...". Expliquez-nous.
Le Théorbe est un instrument d'accompagnement et plus spécifiquement de continuo ou basse Continue. on le trouve souvent accompagnant des choeurs, mais aussi avec de nombreux autres instruments, violes, violons. Il suit la ligne de basse chiffrée il crée un soutient harmonique. il a en quelque sorte le même rôle que le clavecin, tout en ayant une couleur totalement différente, on les entend d'ailleurs de plus souvent ensemble, au sein de grande formations. Il a aussi un rôle soliste, car de nombreux compositeurs ont écrit des "pièces" pour théorbe seul : Robert de visée, Kapsberger... Il existe même un théorbe plus petit que l'on appelle "théorbe de pièces" conçu spécialement pour un rôle soliste.
Si un jeune musicien voulait découvrir la musique médiévale, que lui conseillez-vous ? Où doit-il s'adresser ?
Si un jeune musicien voulait découvrir la musique médiévale, que lui conseillez-vous ? Où doit-il s'adresser ? Cela dépend de la région, de ce qu'il cherche réellement, et du temps qu'il est prêt à y consacrer. Dans tous les cas, s'il le désire, je pourrai, dans la mesure de mes moyens, le conseiller. Je suis joignable directement sur mon site. Il m'arrive, certaines fois de mettre quelques jours à répondre, car j'organise souvent des stages et je suis souvent en déplacement et concerts.
Au moyen âge, la musique était-elle populaire ou réservée à une élite ?
Au moyen âge, je pense que la musique était assez populaire. A partir de la renaissance et au baroque peut être plus élitiste et d'un milieu plus restreint. Mais ceci est un "peut être" car je pense que aussi bien au moyen àge qu'à la renaissance, la musique était pratiquée par de nombreuses classes sociales. Mais ce qui est sûr, c'est que l'inspiration générale a toujours été issue du peuple, et souvent par la suite "ennoblie". A notre époque, nous avons la grande chance, et sans distinction de tout pouvoir goûter alors "ora avanti !"
Quels sont les organismes, les structures qui sollicitent vos prestations ?
Les municipalités, les festivals de musique ancienne et moderne, les organisateurs de concerts, les écoles, les châtelains, les fêtes médiévales et renaissances, les concerts privés…
Jouez-vous en costume d'époque ?
Oui, je joue en costume d'époque. Robin des Bois n'a pas de secret pour moi, mais nous ne jouons pas du même instrument à cordes ! Non sérieusement je joue en habit selon le lieu et la demande des organisateurs.
Quels sont vos projets ?
Mon projet actuel est de développer la musique traditionnelle corse avec la cetera, en apportant mon expérience de la musique ancienne, technique et esthétique. Je souhaiterais ressortir un répertoire instrumental issu de la tradition orale, bien souvent il faut le dire " réduit a sa plus simple expression", et hérissée de fausses certitudes !!! La Corse est une île riche, baignée de la culture de nombreux peuples. Mon but est de développer avec une approche moderne les instruments anciens, et de les inclure dans une structure de musique méditerranéenne, avec en tête des instruments la cetera et la guitare baroque. |