Louisette Rasoloniaina dite "Luciol"
Plasticienne-éclairagiste & Concepteur Lumière, fondatrice de la société LUM DATUM
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Louisette Rasoloniaina, plasticienne-éclairagiste dit
« Tout le monde a une idée de ce qu’est l’éclairage » :
Un dispositif qui permet de distinguer l’environnement la nuit et qui met des éléments en valeur.
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Lecteur : Collectivités territoriales, Professionnels de la lumière
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Perçue, comme une prestation relative à l’électricité, au bureau d’étude technique et à l’ingénierie, elle se décline en une multitude d’approches, dont une que j’ai faite mienne depuis 1987, la Plastique de la Lumière.
Mon domaine d’intervention consiste à concevoir un dispositif qui « donne à voir, à lire et à distinguer » tout en intégrant une volonté esthétique en cohérence avec l’aménagement urbain, les performances visuelles relatives à la sécurité routière et piétonnière, la qualité de vie, la création d’ambiance et l’identité visuelle des collectivités territoriales.
De mon parcours, j’ai acquis la conviction que c’est le respect de ce précept d’imbrication de principes qui interagissent et qui constituent une écriture cohérente. L’étude de l’éclairage est à ce titre une partie d’un langage, qui se distingue par un vocabulaire lumineux et/ou signalant.
J’aurai pu éditer cette fiche en me limitant strictement à la technique du métier, mais il me semble aujourd’hui plus pertinent de donner à sentir aux lecteurs la différence d’esprit et de résultat entre une prestation « technicienne » isolée et celui d’un travail d’équipe, investi dans une démarche de recherche et de synergie.
La présente fiche est constituée sur la base de réflexion et échange avec Christiane Hervet, architecte paysagiste. Ensemble, nous collaborons sur différents projets à l’échelle régionale, urbaine comme rurale. L’écoute et l’imprégnation des lieux et des différents acteurs sont la base du travail de Christiane Hervet ; sa démarche très proche des individus, des entités et des communautés formant la collectivité locale ; enrichie l’approche de l’éclairage, parce qu’elle dresse la complexité des tenants et aboutissants ; les besoins, les contraintes, les objectifs et les moyens ; qui constituent la particularité de chaque projet. L’adéquation de nos approches illustre une mise en condition idéale, sine qua non de réussite d’une mise en lumière.
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Hormis le besoin d’identification visuelle, les principales demandes des municipalités sont la requalification de traversée d’agglomération, la sécurité et la protection des piétons. Les mots récurrents sont incivisme, non-respect et vitesse. L’étude de correction démontre qu’il y a une difficulté à nommer les maux urbains ; on associe facilement le mal-être urbain au mal éclairé. Après une vague de surenchère lumineuse, on s’aperçoit que celle-ci n’est pas une solution viable, en termes de coûts d’installation, d’exploitation et de maintenance. De plus, elle accentue drastiquement le contraste entre l’espace traité et ses alentours, amplifiant la problématique à des zones et des échelles plus grandes. La « bonne solution » n’est pas le fait d’un intervenant, mais la résultante de la qualité de rencontre et discussion de tous les partis (les décideurs, les politiques, les usagers, les consultants, etc…) ainsi que la bonne gestion et prise en compte des facteurs humains inhérents à l’échelle du projet.
Le retour d’expérience a permis de formaliser une démarche, celle de l’éclairage-signalisation, une alternative d’avant garde, basé sur une recherche qualitative non liée au nombre de watt installé, ni au coût de mise en œuvre. Elle tend avant tout à mettre en valeur le potentiel du capital existant, par une réflexion globale et non compartimentée des différents paramètres qui contribuent à réussir un environnement et son appropriation par les usagers.
Pour Louisette Rasoloniaina, l’éclairage n’est pas la solution miracle aux difficultés des agglomérations, mais un facteur contribuant à signaler et générer du bien-être, du bien vivre et du bien co-habiter ; agissant sur les relations entre les usagers véhiculés motorisés ou non et les piétons ; influant sur la « sensation » de sécurité ou d’insécurité.
La démarche de l’Eclairage-fonctionnel Traditionnellement, l’étude de l’éclairage urbain se focalise sur la perception des usagers motorisés. Dans ce cadre, elle est traitée en termes de fonctionnalité (éclairage de voirie) et de performance (recherche de coefficient d’uniformité), sans aucune attention pour les abords.
Cette démarche se traduit par un traitement analogue à l’illumination d’un tunnel, une longue boîte fermée ou d’une bande bitumée. C’est souvent une succession de douches latérales de lumière qui met en valeur la surface de la voirie et non l’environnement. La perception spatiale est réduite, plate et monotone.
Le tunnel ou la bande est un « effet de glissières » qui génère un sentiment de sûreté et de sécurité pour l’automobiliste, mais il tend à relâcher l’attention du conducteur.
Le « sentiment d’animation » que nous recherchons vient de la distinction du jeu des reliefs et de la hiérarchisation ; en différenciant, en donnant des jeux de contraste : d’ombres, de lumière, de hauteur, de niveau d’éclairement, de teinte, de matière, de sonorité, etc …
Toute animation contraint à la concentration du conducteur, parce que celui-ci est sollicité par des plans visuels larges, des informations variées, de différents ordres et localisations.
L’aménagement de traversée dans une agglomération doit tenir compte de ce phénomène, jouant ainsi sur un des leviers de contrôle de la vitesse des flux.
La démarche de l’éclairage-signalisation «Eclairer pour y voir mais aussi
signifier les limites et dissocier les territoires urbains.»
L. R.
La démarche de l’éclairage-signalisation se base sur le guidage optique et les phénomènes de la perception. Elle œuvre à « donner du sens » à et dans l’espace. Son processus consiste à révéler, renforcer, réécrire, voire occulter des éléments existants du paysage. Les sujets mis en lumière prennent un sens propre à la vie nocturne et sa perception. Ces dispositions lumineuses et de signalisation ponctuent le parcours et interfèrent avec l’usager, imprimant en mémoire une sensation qui contribue à distinguer une entité d’une autre ; à déceler l’appartenance à une communauté d’une autre. Cette sensation crée la différence et devient un élément de comparaison. Elle est une interface commune à tout usager motorisé ou pas.
La démarche de l’éclairage-signalisation s’appuie sur l’existant et le potentiel des volumes, des surfaces, des formes, des styles, des couleurs, des matières et des matériaux qui constituent l’environnement.
Cette approche inscrit les éléments illuminés dans une écriture en leur conférant des attributs à la fois : - de guidage optique, afin de diriger, signaler les obstacles, lire les différents cheminements ;
- d'esthétique, afin de générer le plaisir de la découverte, invitant et l’incitant le désir de s’y attarder et/ou de revenir ;
- d’appropriation des lieux et des aménagements ne peut se faire que si l’usager intègre ce lieu comme étant utile à son usage et sa satisfaction ;
- de lecture progressive, de cette combinatoire qui conjugue fonction, agrément et adhésion, se dégage un « esprit », une ambiance qui s’inscrit de façon intuitive chez l’individu et dans la mémoire collective au fil du temps.
Le guidage optique
Le guidage optique utilise les notions fondamentales de la perception : la lecture et la compréhension des informations visuelles. Dans ce domaine, on constate que l’on ne voit que les informations que l’on connaît déjà, que la perception est tributaire de la culture collective et de l’activité pratiquée dans l’espace.
Les conventions et repères collectifs sont comme la tradition, ils ne deviennent règle que par l’usage. Libre à nous, en respect avec les normes de sécurité et les réglementations en vigueur, de travailler sur un système d’organisation, de hiérarchisation, de répétition des éléments du vocabulaire des Lumières-signaux.
La systématisation de ce langage doit être s’étendre à tout le territoire local, devenir une constante (sans être uniforme), afin qu’il soit assimilé et adopté par les usagers.
D’autre part, le souci actuel d’économie d’énergie et de la limitation de la pollution lumineuse est un facteur favorisant le développement de nouvelle approche de l’éclairage urbain.
Ce souci renforce la recherche de nouveaux moyens et types de réponse : on élargit le champ des possibles en termes de moyens techniques hors du contexte des produits d’éclairage ; tout élément irradiant, émettant ou renvoyant une information lumineuse peut être utilisé (cataphote, catadioptre, peinture réfléchissante, revêtement à quartz ou perle de verre, photoluminescence, etc…).
La dimension esthétique
« C’est le regard qui transforme les choses et qui leur donne du sens. »
C. H.
La dimension esthétique renforce la lecture du signal dans une forme ou trame ou ligne « lisible et notoire ». Elle l’inscrit dans la géométrie des espaces, des volumes, des cheminements et des séquences visuelles. L’approche esthétique va porter sur le calage du signal en rythme, fréquence, configuration et intensité en adéquation avec la capacité de modeler l’existant et du système de guidage choisi.
Un traitement purement technique, donne un espace indistinct parce qu’il est semblable à n’importe quel éclairage urbain, de n’importe quel territoire. Il lui manque un PLUS remarquable, un « esprit », une ambiance.
Agrémenter l’espace, c’est mettre en œuvre une invitation à la rencontre et l’échange avec LES AUTRES. Le simple fait de mettre de disposer un banc, c’est ériger un élément de réception, montrer de la générosité, signifier la possibilité d’accéder à, et manifester le « c’est pour vous ».
La qualification des lieux par la lumière et/ou des signaux contribue à ce plus : elle met en valeur en dosant et ordonnançant les moyens et leurs effets, tout en tirant parti d’une limite de propriété, d’un talus, d’un groupe d’arbre ou de maison, un banc, une rive, etc…
Elle s’appuie sur l’agencement architectural, urbain et paysager, qui relèvent des contraintes, volontés et décisions politiques des collectivités locales et étatiques ; c’est pourquoi une bonne étude ne peut être conçue sans une concertation effective, épurée de charge mentale et hiérarchique.
La notion de BEAU est liée à la force d’évocation, d’association, de reconnaissance, de lecture (donc de décryptage) du message visuel ; confortée dans l’espace et dans le temps par la récurrence des langages architecturaux, urbanistiques, paysagers, lumineux et/ou signalétiques.
L’éclairage concrétise une image visuelle propre à la vie de nuit. Quand elle est réussie, elle peut devenir une identité visuelle à part entière.
L’appropriation « On approprie quand on ne se sent pas étranger. »
C. H.
Le phénomène d’appropriation est favorisé si le traitement esthétique intègre des éléments de l’histoire du territoire et son vécu ; répond aux attentes et besoins des usagers ; interagit avec eux ; les considère et les respecte.
Dans les espaces où ce processus n’est pas prédisposé, on assiste à des ré-appropriations violentes, c’est le cas des parkings avec des places vides ou mal conçues. L’agression ressentie par les usagers se manifeste par des actes d’incivilités et/ou le sentiment d’insécurité.
L’appropriation est l’indicatrice d’un traitement réussi. Elle est un précepte intégrable en amont du projet, on peut anticiper son occurrence, mais sans pour autant en garantir l’infaillibilité.
L’observation des phénomènes urbains démontre que le comportement des usagers est en partie conséquent à l’incohérence de l’aménagement urbain : quand on dispose un schéma visuel semblable à celui d’une autoroute (une ligne droite sans aucun obstacle, un bon balisage et un éclairage uniforme sur la chaussée) d’instinct, on fonce, parce que ce dispositif est une invitation à la vitesse. Le cerveau reçoit comme information la visibilité est bonne, l’espace dégagé, on est dans un couloir sécurisé.
Ce n’est pas de l’incivisme, c’est l’environnement perçu qui génère ce sentiment et favorise ce type de comportement. Il y a là un problème de cohérence entre les intentions, les choix et les moyens mis en œuvre (qui sont pour l’usager des messages visuels).
« Une belle pelouse, c’est différent d’un buisson d’épine. Et cela ne génère pas les mêmes envies.»
C. H.
Il faut rétablir la cohésion entre ce qui est permis et les dispositifs mis en œuvre. Dans certaines configurations urbaines (s’il n’y a aucun espace vert accessible à proximité), interdire l’accès à la pelouse, c’est de la provocation et une incitation à la ré-appropriation agressive.
Souvent, le malaise urbain est symptomatique des sentiments de privation, frustration, d’agression subie et d’insécurité face à l’ensemble des conditions de vie des usagers. Leur comportement est un réflexe, une réponse, une réaction.
Pour bien faire, il faut mener une réflexion honnête et sincère sur les enjeux politiques, la stratégie politicienne, et la concrétisation ; les enjeux financiers, l’image de marque et la réalisation.
La lecture progressive
Si on avait déjà un problème de cohérence entre l’aménagement et ses effets souhaités, le sens de certains signes employés appui cette distorsion.
L’exemple du panneau « Attention enfants ! » permet d’appréhender les niveaux de remise en question des acquis par la démarche éclairage-signalisation.
Dans le même registre de langage, on a le « Attention chien méchant ! », on a la sensation que les enfants sont potentiellement dangereux pour le motorisé qui passe par-là. Ce n’est pas tant le panneau en lui-même qui est en cause, bien que…, mais tout le dispositif dans son ensemble. Souvent entre le panneau et la zone concernée, la distance est de quelques mètres. Le signal apparaît de façon abrupte. On peut signifier de façon progressive que l’on approche d’une zone sensible où il faut ralentir parce que l’on peut devenir un danger pour les autres usagers, et doit augmenter l’attention latérale, aux évènements des abords de la voie.
Autre problématique à prendre en compte, comme mentionner plus haut, la perception est liée à la connaissance du milieu, un usager motorisé de passage, aura tendance à être plus attentif et prudent qu’un habitué qui sûr de son acquis va foncer.
Du point de vue de l’aménagement, cela signifie travailler les séquences urbaines qui planifient des zones de transition, des espaces tampons et qui contraignent les motorisés à réduire la vitesse progressivement. |